La guerre civile, c'est mal. Mais en BD, c'est très très bon.

Publié le par Brigand de Brigand

Civil War, c’est l’événement Marvel des années 2000, auquel le film Captain America 3 ne rend que très partiellement justice. La communauté super-héroïque déchirée, des héros démasqués, exilés ou tués, sur fond de politique et bastons homériques.

Les 7 chapitres de l'histoire principale.

Les 7 chapitres de l'histoire principale.

Confessions d’un enfant du siècle

J’ai découvert l’univers Marvel avec le premier film X-men, sorti au tout début des années 2000. Deux ans après, je commençais ma collection de comics, en chinant des Special Strange dans une brocante. Depuis, j’en ai environ 300, que je trouve principalement l’été dans les vide-greniers à la braderie de Lille. J’ai longtemps été abonné à la revue Astonishing X-Men, quand Panini proposait des abonnements. Il va sans dire que la famille mutante est l’équipe dont je prends le plus de plaisir à lire les aventures. D’ailleurs, en Terminale, j’avais proposé pour mon épreuve de TPE un sujet sur les comics et la politique, où j’expliquais simplement la métaphore entre le peuple mutant opprimé et le peuple noir, à une époque (les 60’s-70’s) où les noirs n’avaient pas les mêmes droits que les blancs. Magneto et sa confrérie représentaient Malcolm X et ses Black Panthers, l’action violente, alors que le Professeur Charles Xavier et ses X-men symbolisaient la voie idéaliste et pacifique du sieur Martin Luther King.

C’est en flânant au rayon comics d’une librairie à la recherche d’un Astonishing X-Men, que je suis tombé sur Civil War. Nous sommes en 2007 et c’est à cette date que j’ai mis les deux pieds dans les comics actuels, que je me suis réellement mis à attendre chaque mois les nouvelles aventures de mes héros préférés. Tout a débuté par Civil War, et aujourd’hui encore, je relis cette saga avec une émotion particulière. Elle n’a à mes yeux jamais été égalée.

Casting étoilé

Pour commencer, il faut savoir que Civil War est un « crossover », c’est-à-dire un arc narratif sur plusieurs mois qui regroupe les personnages majeurs de tout l’univers : imaginez une saga avec Spider-Man, les Avengers, le Dr Strange, les Quatre Fantastiques, les X-Men et Wolverine, Daredevil… Pour un amateur de comics, le casting laisse rêveur. J’ai toujours apprécié ce type de scénario : je me souviens d’une vieille BD des années 60’s mettant en scène un affrontement entre les Défenseurs et les Avengers. Ces combats de couilles super-héroïques étaient surtout rigolos pour l’aspect « clin d’œil » et « fan service » : la BD était généralement un one-shot, et se déroulait souvent hors chronologie, sans impact pour la suite des aventures de chacun. Le premier vrai crossover de l’univers Marvel date de 1984 : Les Guerres Secrètes mettent en scène la plupart des super-héros et super-vilains, téléportés sur une autre planète, Battleworld, où ils se livrent une guerre pour le pouvoir. Depuis les années 2000, Marvel Comics publie très régulièrement des crossovers, qui s’étendent sur plusieurs mois, et impactent la majorité des personnages.

Civil War se positionne donc dans ce cas précis. Ce que j’ai de suite apprécié est l’ancrage dans la société actuelle de cet arc narratif : pas de voyage intergalactique, pas d’aventures spatiales, mais une dimension politique, un acte terroriste et des émissions de télé-réalité : bienvenue en Amérique ! C’est aussi l’une des marques de fabrique initiales de la maison Marvel, par opposition à la Distinguée Concurrence (comme on appelle DC Comics) : l’ancrage dans le réel, dans la vie quotidienne. A l’origine, on suit les aventures de Spider-man, mais aussi et surtout la vie pas toujours facile de Peter Parker, toujours en manque d’argent, jonglant entre son petit boulot de photographe et ses cours à la fac, sa tante fragile et ses amours contrariées. Il est plus facile de s’identifier à un super-héros Marvel qu’à un Superman ou un Batman qui, au moins au début, apparaissent sans défaut, ont des vies plutôt posées (pour un mec qui a perdu ses parents à 8 ans, le Batman des origines est quand même plutôt posé dans sa tête – certes, il se déguise en chauve-souris, le soir…).

Crossover américano-franco-belge, Civil War a eu des conséquences jusqu'à Champignac.

Crossover américano-franco-belge, Civil War a eu des conséquences jusqu'à Champignac.

Politique & télé-réalité : l’Amérique de Donald Trump

Civil War commence donc in medias res, avec les aventures d’une équipe de jeunes super-héros un peu oubliés, les New Warriors. Pour relancer leur carrière en chute libre, ces jeunes gens décident de se faire suivre par une équipe de télévision, dans le cadre d’une émission de télé-réalité. Ils repèrent une cache de super-vilains et décident, bien qu’ils ne fassent pas vraiment le poids, de s’en occuper seuls. Tout se passe plutôt bien, jusqu’au moment où le grand méchant balèse, Nitro, envoie la sauce, et pulvérise la moitié de la ville de Stamford, tuant 600 personnes sur le coup. Un massacre retransmis en direct à la télévision, et dont les boucs émissaires sont tout logiquement les super-héros : cette catastrophe s’ajoute à une liste déjà longue, avec notamment la destruction partielle de Las Vegas par un Hulk enragé.

Dès lors, un mouvement politique se met en place et réclame une mesure forte, en réponse à la menace que représentent les individus dotés de superpouvoirs : leur recensement, et leur enrôlement dans une force nationale, où ils seront soumis à des supérieurs hiérarchiques. Finie l’ingérence, fini le désordre. Cette idée, extrêmement intéressante, a été explorée par plusieurs autres comics : de Superman, considéré par la Chine comme une menace au service de l’impérialisme américain, en passant par l’excellente série Rising Stars. Tony Stark, malmené lors de son incursion aux funérailles des victimes, est vite convaincu de l’intérêt d’une telle loi, et se place, grâce à ses contacts politiques et militaires, en champion pro-recensement. De l’autre côté, fermement opposé à cette loi qu’il considère comme une atteinte aux libertés et aux valeurs fondamentales américaines, on trouve Captain America. Soit d’un côté (dans leurs versions classiques en tout cas), un des personnages les plus complexes et intéressants de l’univers Marvel, et de l’autre le vieux boy-scout le plus lisse au monde (après Superman). Forcément, ça va péter.

Le moment clé où Spider-Man dévoile au monde entier son identité secrète.

Le moment clé où Spider-Man dévoile au monde entier son identité secrète.

Millar aux commandes

La réussite de cet arc narratif repose sur le génie du scénariste Mark Millar et aux superbes dessins de Steve Mc Niven. Pour les connaisseurs, on doit à l’incroyable Mark Millar les meilleurs épisodes de la série Ultimates, (reboot de l’univers Marvel dans un monde encore plus réaliste, moins manichéen, avec des héros plus cyniques, en un mot plus humains), mais aussi le célèbre Kick-Ass ou l’excellent one-shot Old Man Logan. On retrouve dans Civil War cet aspect complexe, réaliste, tout en nuances de gris, cher à Millar, qui tranche avec les premiers comics, en noir et blanc dans tous les sens du terme.

Millar cherche à montrer comment la défense d’une cause peut amener même le plus « pur » des super-héros à des compromis, des alliances contre nature et des sacrifices énormes, appliquant à la lettre la sentence de Machiavel, « la fin justifie les moyens ». C’est ainsi que la Team Cap’ accueille le controversé Punisher, aux méthodes expéditives, et que la Team Iron Man, après avoir créé un clone de Thor, met en place un projet visant à enrôler les plus grands vilains, leur promettant une exfiltration hors des États-Unis en échange de quelques années de services, sur le même modèle que Suicide Squad chez DC. Ce qui donne des scènes assez surréalistes, comme celle où les vilains Jack O’Lantern et Le Pitre pourchassent sous couvert de la loi le renégat Spider-man.

Images tirées du film Captain America 3 Civil War

Images tirées du film Captain America 3 Civil War

Des histoires parallèles à n’en plus finir

Outre l’histoire principale, certains scénarios secondaires, centrés sur des héros en particulier, valent également le coup d’être lus. « Frontline », où l’on suit le reporter Ben Urich, tranche avec le reste, et offre une belle enquête journalistique. Mention particulière également pour le parcours de Ben Grimm, alias la Chose des Quatre Fantastiques, qui choisit de quitter les States pour la France, et se retrouve nez à nez avec une parodie de la ligue de justice.

L’impact sur l’ensemble des personnages est gigantesque : Spider-Man est déchiré entre son affection pour Iron Man et sa volonté de préserver ses proches, des héros s’exilent au Canada et forment une nouvelle équipe, Mr Fantastic et l’Invisible quittent les 4 Fantastiques… L’ensemble de la communauté super-héroïque est écartelée, d’autant que la bataille a fait son lot de victimes. La multiplication des séries parallèles permet de traiter en profondeur des conséquences sur chaque équipe et chaque super-héros.

C’est la différence principale avec le film Captain America 3 Civil War qui, s’il reste un bon film Marvel, est une adaptation ratée de la bande dessinée : le casting est forcément réduit, puisqu’on trouve en tout et pour tout 8 super-héros (ce qui est déjà beaucoup pour un film, il est vrai, mais quand on compare à la centaine de personnages concernés dans la BD…) et les conséquences, on le devine, seront moindres, puisque s’esquisse dès la fin du film une réconciliation entre les deux équipes, qui d’ailleurs prennent la bataille à la rigolade (alors que c’est sérieux la bagarre merde !).

Je ne saurai donc que vous recommander de vous jeter sur Civil War. Attention toutefois, si vous êtes néophytes, vous aurez peut-être un peu de mal au début avec la myriade de personnages. Mais si vous connaissez un minimum l’univers Marvel, vous ne pourrez qu’aimer !

 

Brigand de Brigand                     

(Noblesse oblige)                      

Publié dans Lectures

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