Open Museum #4 – Alain Passard au Palais des Beaux-Arts de Lille

Publié le par Brigand de Brigand

Une expo qui m'a bien botté.

Une expo qui m'a bien botté.

Un open museum, c'est comme un open bar sauf qu'au lieu de pils à deux sous tu t'abreuves de culture, et qu'en prime tu as un petit cocktail pour le même prix. Dans le rôle du barman/mixologue, Alain Passard, qui succède donc au groupe Air, à Donald Duck et à Zep pour ce quatrième opus d'Open Museum, du 8 avril au 16 juillet. Carte blanche était donc laissée au chef Passard pour dialoguer avec les œuvres du Palais des Beaux-Arts de Lille. Avec cette formidable phrase d'accroche : « Un cuisinier réveille le palais » (bim 1-0 pour l'humour, comme dirait l'autre).

J'avoue avoir été curieux, sinon dubitatif, quant au fait de choisir un chef cuisinier, là où les premiers invités résonnaient comme une évidence. Le groupe Air avait réalisé des morceaux en s'inspirant des collections, Zep exposait des planches originales en même temps que des dessins créés pour l'exposition en écho à certaines œuvres du Palais, et le collectif Interduck reprenait les plus célèbres tableaux en remplaçant les humains par la famille Duck (une expo saluée par Le Canard Enchaîné, on s'en doute). Mais alors quid du chef ? Fallait-il s'attendre à voir des recettes de cuisine inspirées des tableaux ? Une exposition sur Arcimboldo ? En fait, tout le propos de cet événement est de souligner, ce qui est dans l'air du temps, que la cuisine est un art comme les autres, parmi d'autres, et partant qu'il entre en résonance avec les autres. Passard le dit lui-même dans son interview : « Le cuisinier est un artiste, parce qu'il est le serviteur d'un ordre naturel qu'il doit traduire en musique intelligible de couleurs, de formes, de reliefs et de mouvements ».

Alain Passard, Collages
Alain Passard, Collages

Alain Passard, Collages

De la cuisine à l'atelier

Les habitués de Netflix le connaissent sans doute, puisqu'un épisode de Chef's table lui a été consacré l'an dernier. Mozart de la cuisine, Alain Passard est à ce jour le plus jeune chef à obtenir 2 étoiles au Guide Michelin, et en affiche aujourd'hui 3 sur la porte de son restaurant parisien L'Arpège. En 2001, il choisit d'abandonner la viande, et se concentre sur les légumes. Ce geste fort est une donnée importante dans le rôle qu'il joue dans cet open museum, celui d'un maître de cérémonie qui fait du palais son jardin, et nous invite avec lui à redécouvrir les cinq sens et la symbolique qu'ils recouvrent. Comme les légumes qu'il cuisine, les œuvres qu'il choisit se veulent surprenantes, colorées.

            Pêle-mêle, on trouve ainsi dans cette exposition des œuvres sélectionnées par Alain Passard pour leur rapport plus ou moins direct avec la cuisine, des œuvres d'artistes invités par le chef, et enfin des œuvres réalisées par Passard lui-même. Le cuistot est en effet un adepte des collages, réalisé d'après les plats qu'il cuisine. Parfois, c'est l'inverse : il réalise un collage puis invente la recette adéquate. Le résultat est toujours coloré, dégage une légèreté et une poésie en même temps qu'il donne faim. Dans la pénombre du sous-sol du palais, le rendu est très esthétique. Outre les collages, on trouve également des sculptures signées Passard. Là encore, le rapport entre son travail artistique et son travail culinaire est très étroit : en entrant dans le Musée, le premier regard du visiteur est pour Le Homard, qui représente comme son nom l'indique le crustacé, découpé « à la Passard », dans le sens de la longueur, en aiguillettes, et non plus en médaillons. C'est le restaurateur qui eut l'idée de cette nouvelle méthode et choisit de l'immortaliser, grâce au concours de la fonderie Emile Godard. Le parallèle qu'il énonce entre ces deux « écoles du feu » que sont la fonderie et la cuisine rejoint l'idée précédente, du dialogue entre la cuisine et les autres pratiques artistiques. On trouvera ainsi le long du parcours d'autres sculptures imaginées par l'étoilé, imposantes et non sans vis comica : ainsi de La Danse des chefs, avec ses personnages qu'on imagine sortir de Ratatouille, ou du Combat de dormeurs, qui met en scène un duel homérique entre deux tourteaux.

Combat de dormeurs / La Danse des Chefs
Combat de dormeurs / La Danse des Chefs

Combat de dormeurs / La Danse des Chefs

Le fin des faims

            Une section intéressante, également en sous-sol, est l'exposition de menus de fêtes, baptêmes, mariages... au cours des siècles précédents. Il est intéressant d'observer l'évolution tant au niveau du graphisme que de celui des habitudes alimentaires, ambiance ortolans et pieds de porc panés. L'aspect socio-historique apporte un autre éclairage à l'exposition, et résumer la vie de grandes figures de l'époque à leurs grands repas est un exercice de style qu'il est amusant de transposer aujourd'hui : le velouté d'asperges de ta communion que tu trouvais écoeurant vaut-il ces grenouilles à la provençale ou ce foie de veau au beurre d'anchois?

            Autres créations sympathiques, les installations vidéos mettant en scène le cuisinier aux fourneaux, incrusté dans les détails de natures mortes. Que l'on évoque le contraste entre la peinture (nature morte, figée) et la cuisine (culture vivante, en mouvement) ou la mise en abîme du sujet et du geste (Nature morte au citron pelé), les installations sont aussi belles et audacieuses qu'elles permettent de gloser.

Ventre affamé a assez d'oreilles (pour écouter les œuvres dialoguer)

                        Le visiteur découvrira au fil du parcours des œuvres d'art classique, moderne et contemporain ayant trait de près ou de loin à la cuisine : Gustave Courbet, Chaïm Soutine, Emile Bernard ou Jean-Siméon Chardin sont ainsi convoqués, peignant qui des dîners, qui des natures mortes, qui des cuisiniers. Au premier étage, non loin des crabes, une salle présente des œuvres traitant d'un sujet qu'on a effleuré plus haut: la pêche. Gaspard de Crayer dégaine le premier avec sa Pêche miraculeuse, Jean Hélion répond avec son Marché aux Araignées, Bernard Buffet conclut par Bretonne et crustacés. Personnellement, j'adore voir le traitement à des époques et par des styles différents d'un même thème, c'est en même temps que l'histoire de la peinture une approche socio-historique d'un sujet qui s'offre à nous. Ici, c'est par exemple faire comprendre aux plus jeunes en deux tableaux l'importance de la peinture religieuse, puis son abandon.

Une oeuvre à boire...

Une oeuvre à boire...

           Dans l'atrium nouvellement aménagé, plusieurs œuvres s'offrent au regard des spectateurs. Au regard et à l'ouïe, avec Les Marmites enragées, de Pilar Albarracin, soit un ensemble de cocottes minutes, qui sifflent l'air de L'Internationale, mélodie révolutionnaire par excellence, comme pour appeler au soulèvement des femmes, trop longtemps cantonnées en cuisine. L'artiste traite régulièrement du rôle des femmes dans la société dans ses œuvres. Et si la cuisine fut au cours des siècles essentiellement associée à la figure féminine, force est de constater que le milieu de la « grande cuisine » est longtemps resté très macho. Parmi les œuvres sympathiques, on peut aussi évoquer la Presse à canard de l'artiste franco-américain Arman : il s'agit du véritable outil d'Alain Passard, qu'il a confié au pape des « accumulations » après avoir décidé d'arrêter de cuisiner la viande. L'artiste a fait subir à l'objet le désormais célèbre processus de « déconstruction/reconstruction ». Enfin, coup de cœur pour les œuvres de Jean-Bernard Métais, parmi lesquelles L'esprit de vin : des tubes de verre de toutes formes, contenant du vin. Certains tubes forment des mots (Boire, Ivresse...), alors que l'oeuvre citée s'inscrit en parallèle du Grand Ombre de Rodin : de par la forme complémentaire d'abord, mais aussi par l'année de confection : de la statue d'une part, et du vin que contient l'oeuvre d'autre part. Un vin de Jasnières clos de Saint Jacques, de 1898. Deux « morceaux de temps parallèle », comme les qualifie Métais, mais surtout l'illustration d'un pari réussi : celui de faire dialoguer les œuvres contemporaines choisies par Alain Passard avec les œuvres classiques du Palais des Beaux-Arts.

Brigand de Brigand                     

(Noblesse oblige)                      

Publié dans Culture

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