Mon petit gazon (maudit)

Publié le par Brigand de Brigand

Si vous êtes un homme et si vous m’avez croisé dans une soirée quelconque au début des années 2010, sans doute vous ai-je abordé en vous parlant de mon petit gazon. Si vous êtes une femme, sans doute l’ai-je fait aussi, mais ceci est une autre histoire. Si vous étiez un homme intéressé par le football, si votre habilité à paraître captivé par n’importe quel sujet ou les quatre pintes bues trop vite m’ont fait croire que c’était le cas, j’ai pu aussi vous montrer quelques photos qui faisaient alors ma fierté. Si vous êtes une femme, sans doute l’ai-je fait aussi, mais ceci est une autre histoire.

A l’époque, Mon petit gazon n’était encore connu que d’une poignée d’afficionados. Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître : celui où l’on jouait avec les notes de l’Équipe, celui où le miroir ne servait qu’à se regarder dans la glace avec plaisir le lundi matin, celui où Tonton Médecine n’avait pas encore été remplacé par une canette de Red Bull, celui où on devait recruter parmi les petits frères pour trouver un sixième joueur.

 

Je me souviens encore de cette soirée de décembre 2013, où mon club de cœur post-2011 atomisait mon club de cœur ante-2011 sans aucun suspense ni enjeu : Paris menait 3-0 à l’heure de jeu et les Sochaliens ne reviendraient pas. C’est à ce moment-là qu’un pote nous a parlé de mon petit gazon, qu’il venait de découvrir. Silence gêné. On l’a regardé, il nous a regardés, on a fait une mimique pour dire qu’on était gênés, il a compris, il s’est expliqué : « Aaaaaaah non, mais Mon petit gazon en fait c’est un jeu de fantasy football où t’as 500 millions pour bâtir ton équipe et défoncer tes potes les week-ends et leur rappeler toute la semaine en amphi ! ». Ma famille ayant adopté la devise « Pas de défaite sans humiliation », je sus que ce jeu était fait pour moi. Et notre pote de continuer à vendre le jeu comme s’il avait des parts dedans : « si le joueur marque dans la vraie vie, il marque aussi pour ton match, et après il y a un système de notes qui permet aux joueurs de passer les lignes adverses et de marquer des buts MPG ! », c’était déjà alléchant, mais il gardait le meilleur pour la fin : « il y a aussi des malus/bonus que tu peux mettre au moment de faire ton équipe pour pénaliser le goal adverse, doper tes joueurs ou carrément annuler un but » ! Mon cerveau malade élaborait déjà des stratégies diaboliques (mettre un Red Bull sur mon gardien, cumuler les bonus Zahia et Red Bull pour mon match pour le titre), qui toutes s’avérèrent impossibles, mais qu’importe. Cet homme venait de changer ma vie, et je décidai de le demander en mariage de créer ma première ligue MPG.

Tout ce qu'on voulait, c'était des joueurs avec des noms marrants

Tout ce qu'on voulait, c'était des joueurs avec des noms marrants

La fièvre du samedi soir

J’allais passer des samedis soirs à regarder le multiplex Ligue 1 en hurlant sur un but de Musavu-King, des dimanches matins à regarder les notes de l’Équipe en hurlant sur l’incompétence des mecs qui mettent les notes, comme après chaque contrôle de Sciences Physiques au Lycée. A l’époque, il y avait deux stratégies : mettre 182 millions sur Zlatan, se prendre toutes les valises mais gagner quand même, ou mettre 181 millions sur Zlatan et pleurer. Les premières fois, j’ai choisi de jouer comme un bourrin, et quel plaisir d’avoir le géant suédois dans son équipe… Accompagné d’un Wissam Ben Yedder encore pitchoun’, c’était la première place assurée. Tous les dimanches, après le poulet-frites, Walker Texas Ranger et la sieste, je m'installai dans mon canapé pour la pétée suédoise. Je frissonne encore en me rappelant un délicieux Toulouse-PSG avec un triplé du scandinave et un doublé de WBY. Ou comment passer de 0-1 à 5-1 en 90 minutes et boire les larmes salées de son adversaire.

Que n’aurais-je pas donné pour devenir, le lundi venu, une petite souris et m’infiltrer dans les bureaux de mes adversaires du week-end, et observer leur tête se décomposer en voyant que j’avais posé une valise à Nanar qui m’offrait la victoire… Combien d’appels ai-je passé cinq minutes après le coup d’envoi d’une journée de ligue 1 en pleine semaine à mon adversaire du jour pour lui signaler qu’il avait oublié de faire sa team… Combien de Tonton Médecine ai-je planté dans les cuisses de mes défenseurs alignés par paquet de 5 pour l’occasion en espérant un but MPG qui n’est jamais venu ? Combien de fois me suis-je fait baiser par Zahia ? En 9 ans, un paquet.

Le temps béni où je savais utiliser une valise correctement

Le temps béni où je savais utiliser une valise correctement

L’âge d’or

Ma plus belle année, c’est sans doute celle où je n’ai pas eu Zlatan. J’ai préféré utiliser mon pécule sur un trio de seconds couteaux redoutables : Gignac, Lacazette et mon petit Wissam, avec lequel j’avais tissé des liens si forts (si vous regardez attentivement le ralenti, vous verrez qu’il me dédicace son premier but sous la tunique monégasque). Cette brochette de choc, 62 buts à eux trois sur le championnat, était en plus épaulée par une petite pépite qui coûtait à l’époque à peine 10 millions, Nabil Fékir. On m’a dès lors reconnu un vrai talent de scout, prêt à dénicher le joueur qui allait exploser. En vérité, j’avais maté un PSG – Lyon où un jeune milieu de terrain avec un nom qui commençait par Fé m’avait tapé dans l’œil et je m’en suis souvenu au moment de miser. En fait le mec qui m'avait fait si forte impression c’était Jordan Ferri et je me suis trompé quand j'ai enchéri. Comme quoi, le hasard… Cette année-là, j’avais fini avec 40 points possibles sur 42, et cette histoire je l’ai racontée à chaque personne que j’ai rencontrée : ma femme, mon boss, mes collègues, mon chat, mes enfants, et plus tard je ferai asseoir mes petits-enfants sur mes genoux, et face à la cheminée je leur sortirai le petit carnet où j’ai collé les vignettes Panini de mon équipe victorieuse. C’est sans doute l’un de mes derniers souvenirs heureux sur MPG. Une époque où chaque mercato donnait lieu à des surprises de taille, où l’on attendait des heures parfois, des jours souvent, le dernier joueur, invariablement coincé dans un endroit sans réseau (le métro ou la Creuse) pendant un week-end ; une époque où l’on était focus sur notre bonne vieille Ligue 1, où le nom du championnat imposait un thème propice aux jeux de mots, où les Croisés de Savoie affrontaient Les Fées Mûres dans la Ligue Amant, mais surtout, une époque où je jouais - et gagnais - le titre.

Le trio magique, au bon goût salé!

Le trio magique, au bon goût salé!

La chute

Les années passant, le cercle de joueurs MPG s’est agrandi. Au début, nous n’avions qu’un dieu, qui répondait au nom de Tchang Papadopoulos, l’auteur béni du blog « Stats L1 – MPG », qui compilait les notes des joueurs sur toute la saison, avec le nombre de buts, mais très vite les joueurs ont été nourris par un nombre grandissant de sites spécialisés, regroupant les statistiques de chaque joueur, les classant même par rapport à leur cote, par rapport aux postes qu’ils occupent dans la vraie vie et celui qu’ils occupent dans MPG… Bref, le travail de scout était mâché, et tout le monde avait accès aux mêmes sources. J’ai résisté comme j’ai pu, interdit par principe ou par bloqueur de site d’accéder à ces aides précieuses… Comme Poulidor, j’ai commencé à collectionner les deuxièmes places, coiffé sur le poteau après un marathon de quatorze journées par un footix ou un expert en statistiques, à cause d’une défaite contre le dernier de la ligue, d’une valise mal placée ou d’un Rotaldo qui passait par là. Et depuis, les choses vont de mal en pis.

Les soirs où je vais trop bien, je me souviens de cette époque

Les soirs où je vais trop bien, je me souviens de cette époque

Alors que MPG innovait toujours plus, offrant d’abord des fonctionnalités tantôt gratuites, tantôt payantes mais toujours sympathiques et aujourd’hui incontournables, comme l’achat et la revente de joueurs pendant le championnat, offrant la possibilité de se débarrasser de son deuxième gardien pour se goinfrer de joueurs qui de toute façon cireront le banc, ou de nouveaux bonus comme l’excellent miroir, qui renvoie le bonus à l’envoyeur ; pendant que MPG s’internationalisait, avec des versions Barclay’s Premier League, La Liga, Série A puis Ligue 2 et Ligue des Champions, je sombrai dans un mal terrible, rattrapé par mes premières amours : la sochalite aigüe. Si je n’ai à ce jour pas encore perdu une ligue (je touche Dubois), je n’en gagnai guère plus. Victime de quolibets toujours plus railleurs sur le mur de la taille, de photomontages plus ou moins réussis et de campagnes d’infamie dans la presse locale, associant mon équipe à un club satellite, j’étais au bord du gouffre. Je tentai une première fois de faire transférer Edinson Cavani dans mon équipe en proposant le transfert au leader et en subtilisant son portable pour lui faire accepter la combine à son insu, mais au tout dernier moment un sursaut de conscience m’en empêcha, la même foutue conscience qui en 2006 me fit rentrer dans le magasin où je venais de voler un héroclix pour le reposer à l’insu du vendeur, opération diablement risquée qui aurait pu là aussi me conduire en tôle. Dans ma quête de reconquête de la victoire, j’élaborai un plan destiné à remonter fissa ma moyenne de ligues gagnées : multiplier les championnats étrangers, et inviter de nouveaux joueurs, parmi les amis ou la famille, avec deux critères, dont l’un importait plus que l’autre : aimer le football et n’avoir jamais joué à MPG. C’est une tactique, je le confesse, qui avait relativement bien marché à mes débuts, avec les petits frères, qui ne semblaient pas comprendre le sens du mot « enchères » et arrivaient à finir leur premier tour de mercato avec le seul Jessy Moulin comme joueur. Cette fois-ci, elle allait s’avérer moins payante.

Quand tu commences à perdre contre des équipes sans maillot, c'est le début de la fin.

Quand tu commences à perdre contre des équipes sans maillot, c'est le début de la fin.

N’est pas Remontada qui veut

Pensant qu’inclure un membre de la famille dans une ligue me permettrait d’éviter les malus, j’initiai au jeu mon beau-frère. Le jour où il m'a dit qu'il s'occupait de l'argenterie, je pensais qu'il parlait des cadeaux de mariage, pas de me planter un couteau dans le dos. Quand je pense que je l’ai accueilli chez moi avec le sourire le week-end de notre confrontation en Ligue 1, quelques jours avant notre duel en LDC, et que je suis reparti avec deux défaites dues à deux valises… Pour le clin d’œil, je lui ai offert en riant une vieille valise à Noël, sans lui dire que l’intérieur est tapissé d’amiante.

En Italie, j’ai tout misé sur un trio d’attaque Martinez – Berardi – Immobile et pu enchaîner des matches où Immobile voyait son match reporté, Martinez était suspendu et Berardi était parti cueillir des fraises, j’ai pris des tôles contre des équipes où je ne connaissais même pas le nom des joueurs adverses, mais où les défenseurs jouaient en fait attaquants, les milieux jouaient en fait attaquants et les attaquants jouaient en fait… attaquants. Au moins, j'ai appris à dire Tocard en italien.

En Angleterre, j’ai claqué 130 millions sur un Jamie Vardy absent du Boxing Day pour congé paternité, je n’ai reçu aucun faire-part mais des sacrées branlées. Et quand, à la première journée mon adversaire n’a marqué aucun but et que j’ai reçu la notification (autre amélioration qui rythme mes week-ends comme autant de coups de fouets dans le dos) comme quoi j’en avais marqué un, c’était un CSC de mon défenseur. Merci Lindelöf !

Alors aujourd’hui, je traine mon spleen sur les terrains virtuels et vis de petites combines, m’amusant à jouer de l’intox pour faire tomber les miroirs des uns et des autres, glanant parfois une victoire au hasard d’un troisième rotaldo aligné par un adversaire malheureux, observant tristement Wissam s’épanouir pleinement avec la Ten Nice Team, mais convaincu qu'un jour, je reviendrai tout en haut de l'affiche. En attendant, je feuillette mon petit carnet Panini fait maison… d’ailleurs, est-ce que je vous ai raconté la fois où j’alignais Gignac, Ben Yedder et Lacazette ?

 

Brigand de Brigand                     

(Noblesse oblige)                      

 

Publié dans J'ai testé pour vous

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