Histoire et saveur au Delirium café: d'une bière deux coups

Publié le par Brigand de Brigand

                Bar le plus célèbre de Belgique, le Délirium Café est inscrit au Guiness Book comme celui proposant le plus grand choix de bières au monde. Caché dans une charmante petite impasse bruxelloise, ce troquet est le palais de la bière par excellence.       

I visit Brussels until beer o’clock

D’abord, on s’arrête sur la Grand-place, inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Le temps d’en prendre plein les yeux avec ces magnifiques demeures, si richement ornées, si joliment dorées : outre l’hôtel de ville et la maison du roi, on y trouve les maisons des corporations : des Boulangers, des Bateliers, des Graissiers… Et puis le musée de la brasserie. Comme pour nous rappeler à l’ordre, sur la raison de notre venue dans la capitale belge. Le plaisir des yeux ne dure qu’un temps, place à celui du goût. Après avoir déambulé dans les allées du palais du roi, laissons glisser sur le nôtre les gorgées tour à tour ambrées, blondes ou brunes du plus grand trésor belge : la bière, elle aussi classée au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, depuis novembre 2016. Juste reconnaissance d’un savoir-faire unique que le monde entier peut envier avec raison à nos amis Belges.

                On salive déjà à l’idée de tremper ses lèvres dans ce breuvage festif et populaire, et on se dirige tout guilleret, le cœur (et le ventre, pour quelques heures encore) léger, rue Chair et Pain (tout un programme), puis l’on bifurque Petite Rue des Bouchers, rue de petits restaurants qui sentent bon l’arnaque, et où les serveurs vous alpaguent : gaiment, on a envie de s’arrêter et de leur expliquer : ce soir, ce sera bière et fromage.

Impasse de la fidélité, en semaine, en journée: le calme avant la tempête.

Impasse de la fidélité, en semaine, en journée: le calme avant la tempête.

Mise en bouche, mise en bière

                Les connaisseurs l’auront compris, on se dirige vers le temple de la bière, le bar proposant la plus grande carte de bières au monde : le Delirium Café, passage obligé pour les touristes amateurs de houblon. Le bar occupe la totalité d’une impasse, et se décline en différents univers : bières, absinthe, whisky, tequila… avec à chaque fois une quantité astronomique de références, qui donne à la carte des allures de dictionnaire. Et chaque fois que j’entre « Impasse de la fidélité », j’ai du mal à ne pas saluer l’ironie du sort : combien d’adultères ont été commis, sous l’effet désinhibant de l’alcool, dans cette impasse si bien nommée ? Et plus loin, en faisant la queue derrière la vingtaine de bruyants touristes chinois pour apercevoir à mon tour la Jeanneke-Pis, pendant féminin du Manneken Pis, je me demande combien, dans quelques heures, l’imiteront sans souci de pudeur, écoulant leurs bières entre deux voitures.

                Le Délirium s’étale en longueur, en hauteur également : un rez-de-chaussée, un étage et un sous-sol, souvent remplis à ras bord le week-end. Pour s’asseoir, on y vient tôt ou on sympathise avec un groupe et on s’incruste. La terrasse n’est pas la plus sympa de Bruxelles mais elle offre le double avantage de voir la télé des restaurants d’en face, aspect appréciable les soirs de matches, et d’observer le déboulé des soiffards, le défilé des soûlards. Le jeu consistant à deviner lequel de ces joyeux drilles repassera quelques heures plus tard en sens inverse pour dégueuler ses tripes sous les hourras d’une foule en délire et les soupirs désabusés des vigiles. Et de rire à chaque personne qui marchera dans le liquide si généreusement offert aux pavés par un jeune fêtard emmené tant bien que mal par ses camarades de beuverie loin du Valhalla des buveurs, vers l’endroit où il finira sa nuit comme on finit un marathon, sans vraiment y croire. Son lit, on l’espère.

Au sous-sol, des plateaux de bar habillent le plafond, sur les murs des affiches métalliques d’époque vantent les mérites de bières oubliées  et des verres aux dimensions colossales et aux formes douteuses nous toisent, comme d’un air de défi, sûrs de leurs forces, certains d’être plus faciles à remplir qu’à descendre. On prend les paris, on se donne rendez-vous. On s’assoit, et on ouvre la carte.

Quand tu prends en photo des gens que tu ne connais pas

Quand tu prends en photo des gens que tu ne connais pas

Le paradis sur bière

                Autant l’annoncer tout de suite, celui qui hésite habituellement entre les trois pressions proposées au PMU du coin n’aura pas sa place dans mon voyage. Ici, plus de 2000 bières sont proposées, rangées par pays et par ordre alphabétique. Évidemment, la part belle est faite aux désormais célèbres bières belges, avec pas moins de 1700 références, de la plus célèbre (coucou abominable Leffe !) à la plus obscure (Au hasard, la Boucanier). Regarder la carte en dégustant sa bière, c’est être étonné à tous les instants, tant les noms divers et variés nous emmènent dans des univers complètement différents : du nom qui fait peur parce qu’il est en flamand (Broeder Jacob Formidabel), au nom qui ne fait pas peur alors qu’il devrait (La Corne du Bois des Pendus), du nom qui ne donne pas vraiment confiance (Chapeau Banane) au nom vraiment très cool (Brigand évidemment), il y en a pour tous les goûts. Sans surprise, la Délirium Tremens, « elected as Best Beer in the World » en 2008, est mise à l’honneur, dans ce troquet qui partage avec elle le nom et le logo, ce charmant éléphant rose qui fut le dernier compagnon d’Edgar Allan Poe.

                Pour ceux qui auraient l’étrange idée d’aller en Belgique pour goûter de la bière qui ne serait pas belge (comme à Amsterdam, les blondes d’Europe de l’Est sont moins chères que les locales), la carte se poursuit avec l’ensemble des pays (bon allez, j’exagère : pas de page Swaziland). Blague à part, c’est toujours sympa d’entendre un copain pas vu depuis longtemps raconter ses souvenirs de la glaciale Sibérie qu’il vient de quitter, autour d’une Baltika 9, bière sans goût dans une bouteille colossale (Qui a dit « russe par excellence ? »). Je me croyais presque à Novossibirsk, avec quelques degrés en plus je le concède. Comme quoi, la bière est un voyage comme un autre.

Pourtant dans ma tête c'était net

Pourtant dans ma tête c'était net

Une Orval peut en cacher un autre

                Et pour éponger, qu’est-ce qu’on prend ? Je vous déconseille les paquets de chips et les bols de dés de salamis qu’on mange jusqu’à l’écœurement. Les moines belges ont eu l’excellente idée de produire, en plus de ces splendides bières, du fromage et du pâté de qualité, qui se marient forcément à merveille avec le divin breuvage. Quel plaisir de déguster un fromage d’Orval avec un verre d’Orval, et vice-versa. Si l’alliance bière-fromage est incontournable en Belgique et dans le Nord de la France depuis des siècles, cela n’a pas toujours été le cas ailleurs et est même une tendance assez récente, si l’on en croit les brasseurs et les fromagers : le fromage est généralement associé au vin, rouge notamment. Pourtant, le combo binouze/frometon s’est ancré de manière solide dans les mœurs de la nouvelle génération, chez qui la consommation de vin est moins fréquente. Les habitudes alimentaires sont différentes, également : là où le fromage se dégustait jadis avec la salade et le verre de vin, entre le plat principal et le dessert, le dimanche en famille, il tend aujourd’hui à pointer le bout de son nez, comme la charcuterie, sur les planches apéritives, en tranche ou en dés, sans salade et sans pain. Et c’est bien souvent là que la bière règne en maître. Adieu Bourgogne, bonjour Chimay ! (C’est en principe ici que devait intervenir Pascal, responsable du rayon fromages du Carrefour Market de Frouzins, pour témoigner de la hausse sans précédent de la vente de fromages en dés, mais il n’a pas pu se libérer – il bûche sans comté).  

                D’un bon appétit, on finit sa planche, et son verre, à regrets mais avec la joie de découvrir très vite une nouvelle bière. La première nous a mis en appétit, la deuxième sentira davantage l’aventure. On parcourt la carte, profitons-en tant qu’on sait encore lire et compter : une triple, une quadruple ? Allez, va pour celle-ci. « Ah non, c’est ma tournée. Tu paieras la prochaine ! ». Et l’on trinque à l’amitié, à la bière et à Bruxelles. Et tout s’enchaîne. Une autre ? Est-ce bien raisonnable ? C’est la force du Délirium Café, il a les mots pour nous retenir (ou alors c’est l’alcoolisme?). Si on l’écoutait, on n’en partirait pas, ou à quatre pattes. Et après les bières, il y a aussi la partie absinthe…

La bière, c'est regarder ensemble dans la même direction.

La bière, c'est regarder ensemble dans la même direction.

Le doux impérialisme belge

Le succès du Delirium Café est tel qu’il a essaimé un peu partout dans le monde : on trouve des enseignes à Tokyo, au Brésil, en Italie et évidemment en France, notamment à Nantes, Orléans et Amiens (qui du coup sont passées dans le top 3 de mes villes préférées). Mais ces copies resteront à mon humble avis bien pâles par rapport à l’original, faute d’un ingrédient indispensable : le Belge. Lui, tourné en ridicule, moqué dans les histoires drôles, lui, ce cousin que le Français si chauvin et si fier regarde avec condescendance. Jules César pourtant avait déjà prévenu : « De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves ». Les plus braves, peut-être. Les plus sympas, les plus festifs, les plus avenants, surtout. Une soirée en Belgique, c’est l’assurance de faire des rencontres, d’engager des conversations, de partager une table, des rires et des bières. Et ça change de certains coins de France, une fois.   

 

Brigand de Brigand                     

(Noblesse oblige)                      

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M
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B
La première gorgée de bière... Avec des amis, s'est commencée dans cette allée, et ils s'en sont allés vers d'autre comté, non pas Sacquet, mais affamés.<br /> <br /> Aux dits amis, Alexikon.
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