American Gods - L'Amérique peut-elle encore accueillir toute la divinité du monde?

Publié le par Brigand de Brigand

Le 30 avril est sorti le premier épisode de la première saison d’American Gods. Adaptée du roman éponyme de Neil Gaiman, la série bénéficie a priori d’un soutien sans réserve de l’auteur et scénariste. C’est donc pour nous l’occasion idéale de revenir sur l’œuvre de Neil Gaiman, et plus particulièrement sur ce séduisant roman qu’est American Gods. Ce n’est pas la première fois que ses œuvres sont adaptées sur écran, puisque Coraline et La Vie de Nobody Owens ont déjà pris vie au cinéma, grâce à Henri Selick.

Dieux à la retraite

J’ai découvert Neil Gaiman avec l’excellent comics Sandman, sur lequel je reviendrai plus en détail lors d’un prochain article (je sais, l’attente est insoutenable). Qualifié de « comics pour intellectuels », Sandman met en scène, dans l’univers DC Comics, auquel il ne se rattache qu’épisodiquement (et c’est tant mieux) le dieu Rêve, tout-puissant marchand de sable. Gaiman, auteur aussi érudit que britannique, y fait intervenir des personnages réels comme William Shakespeare et des divinités issues des différents panthéons : japonais, grec, nordique… Au détour d’un épisode, il pose une question fondamentale : que devient un Dieu lorsque le nombre de ses fidèles décroît inexorablement, jusqu’à atteindre le zéro absolu ? Comment une créature qui se nourrit de la foi de ses croyants peut survivre lorsqu’il n’y a plus ni foi ni croyants ? C’est cette question que Neil Gaiman pose à nouveau dans le roman American Gods, paru en 2001 aux États-Unis et l’année suivante en France, aux éditions « Au Diable Vauvert », et couronné de nombreuses récompenses, dont le Prix Hugo et le prix Bram-Stoker, ce qui en fait l’un des best-sellers de la Fantasy de ces dernières décennies.

L’Ombre d’un doute

Tout commence avec le dénommé Ombre, détenu dont la libération est imminente, 3 ans après son incarcération pour une bagarre. Malgré un physique de colosse, Ombre a tout l’air d’un prisonnier modèle, tranquille, dont le temps libre se partage entre la lecture d’Hérodote et la pratique de tours de magie, à base de disparition/réapparition de pièces (un conseil, ne jouez pas avec lui à Mito, tout laisse penser que vous perdriez). Il semble que ce soit son compagnon de cellule, Loquace Lyesmith (un nom qui pourrait en cacher un autre…) qui lui ait donné ce goût tant pour la littérature antique que pour la magie. Mais si Ombre est si tranquille, c’est aussi parce qu’il a des projets pour l’après : retrouver Laura, sa femme, et débuter sa nouvelle vie professionnelle à « La Musclerie », la salle de gym de son meilleur pote Robbie. Bon sauf que, pas besoin d’être sorti de Saint-Cyr pour savoir qu’un chapitre qui commence par « prison », se poursuit par « femme » et « meilleur ami » a toutes les chances de finir par les lettres « cocu ». Et comme un malheur n’arrive jamais seul, la liaison entre Robbie et Laura éclate au grand jour en même temps que leur voiture. Résultat des courses : deux morts, plus de femme, plus de meilleur ami, et plus de boulot. Tout ça parce que Laura a confondu un chibre avec un levier de vitesse. Jamais pipe n’aura coûté si cher. A part peut-être celle-ci.

Pour les anglophones, une version magnifiquement illustrée par Dave Mc Kean

Pour les anglophones, une version magnifiquement illustrée par Dave Mc Kean

Anciens contre modernes

Rapidement, Ombre se fait accoster par un mystérieux bonhomme, à la taille imposante, à la barbe grise et à l’œil de verre, répondant au nom de Voyageur (Wednesday en V.O., mais vous l’aurez compris, un nom peut en cacher un autre), et paraissant savoir bien des choses sur Ombre. Après quelques tergiversations, l’ex détenu accepte de travailler pour notre voyageur, qui s’avère rapidement, si la description ne vous avait pas aidé, être Odin. Le père-de-tout expose ainsi la situation : les anciens dieux, de quelques panthéons qu’ils soient, se voient relégués aux marges de la société à mesure que leurs fidèles disparaissent – on ne va pas se mentir, le nombre de païens est à peu près équivalent à celui des brontosaures. Certains survivent, parvenant encore à être parfois adorées (La Reine de Saba en prostituée), d’autres ont renoncé depuis longtemps (Thor s’est suicidé) ou ont sombré dans la folie (Horus passe ses journées sous forme de faucon). Plus grave, ces Dieux doivent aujourd’hui faire face à un panthéon 2.0 aux pouvoirs aussi nouveaux que puissants, et à la cohorte de fidèles grandissant de jour en jour. Parmi eux, on trouve la déesse Média,  l’obèse et boulimique Internet, ou l’inquiétante et omniprésente Télévision. Ombre et Voyageur vont donc tenter de réunir les anciens dieux pour mener ce qui s’apparente à une ultime bataille.

"Je vous préviens les gars, si vous me mettez pas dans Civil War, je vais faire une connerie!"

"Je vous préviens les gars, si vous me mettez pas dans Civil War, je vais faire une connerie!"

Fusion !

Au fur et à mesure de l’histoire, on est introduit avec Ombre dans l’intimité de divinités et créatures folkloriques d’horizons très différents : Czernobog et les nornes slaves, les kobolds germaniques, la déesse anglo-saxonne de Pâques, Eostre, le dieu africain Anansi, les égyptiens Thot et Anubis (mon Dieu préféré depuis que j’ai 8 ans, oui oui). La très bonne idée de Neil Gaiman réside, comme dans Sandman d’ailleurs, dans les digressions et les histoires annexes mettant en scène d’autres personnages et d’autres héros. Ici, ces courts récits montrent les différentes vagues d’immigration qu’ont connues les États-Unis et qui partant ont amené dans ce qui n’était pas encore le pays de l’Oncle Sam des croyances et des divinités en nombre. Ainsi par exemple, Gaiman narre l’histoire d’Essie Tregowan, jeune fille du Sud-Ouest de l’Angleterre, qui échoua en 1721 aux États-Unis, amenant avec elle lutins et farfadets. Ou celle de Wututu et Agassu, deux jeunes africains vendus aux négriers : si Agassu atterrit finalement à Saint-Domingue où il participe à la guerre de libération avec Toussaint Louverture, la petite Wututu se retrouve aux États-Unis, amenant avec elle le culte du vaudou et des personnages étranges comme le Baron Samedi. Neil Gaiman définit ainsi les États-Unis comme une terre d’accueil pour divinités, une terre de syncrétisme par excellence, qui absorbe les cultes, tantôt les intégrant dans son histoire, tantôt les faisant disparaître dans la masse.

La notion de syncrétisme (système religieux qui tend à faire fusionner plusieurs doctrines différentes, dixit le Larousse) est plusieurs fois mise en lumière, notamment quand Gaiman souligne les « emprunts » (ou l’appropriation) du christianisme au paganisme. Ainsi, alors qu’Eostre affirme être adorée comme à ses débuts, Odin lui fait remarquer cruellement qu’aujourd’hui nul ne connaît le sens originel de la fête de Pâques, mais que la plupart y voient, depuis la Bible, la résurrection du Christ. Même chose pour la fête de Noël, qui est à l’origine la naissance du Dieu-soleil iranien Mithra, qui connut son heure de gloire dans l’Empire Romain aux IIe et IIIe siècle, avant de souffrir de la concurrence du… christianisme.

Les différentes couvertures illustrent à merveille l'opposition Anciens/ModernesLes différentes couvertures illustrent à merveille l'opposition Anciens/Modernes

Les différentes couvertures illustrent à merveille l'opposition Anciens/Modernes

Amérique, terre des héros

Au cours de son périple, Ombre croise également des « héros culturels », ces grandes figures qui peuplent l’imaginaire américain et les légendes indiennes, parmi lesquelles le botaniste américain Johnny Pépin de Pomme (Johnny Appleseed, aka John Chapman, missionnaire jardinier, légende vivante connue pour avoir introduit de nombreux pommiers en Illinois, Ohio ou Indiana), ou l’indien Wisakedjak qui explique à Ombre et au lecteur, que le « héros culturel […] a en gros le même emploi que les dieux, mais on fait plus de conneries et personne ne nous révère. Les gens racontent des histoires sur nous, mais aussi bien celles où on passe pour des cons que celles où on brille ». Entre les hommes devenus légendes et les Dieux devenus chimères, la frontière est parfois ténue.

Roman dense et érudit, l’histoire d’Ombre soulève de nombreuses questions et apporte quelques réponses, en réactualisant l’ancestrale querelle entre les anciens et les modernes. Et si celle-ci ne profitait qu’à quelques-uns ? Et si elle pouvait être dépassée ? C’est aussi, peut-être, l’un des paris de ce livre…

Brigand de Brigand                     

(Noblesse oblige)                    

Publié dans Lectures

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