Le Musverre, un « écomusée d’art contemporain »

Publié le par Brigand de Brigand

Inauguré le 1er Octobre 2016 à Sars-Poterie (Nord), le Musverre se veut le nouveau verre de lance d’un territoire souvent associé au manque de dynamisme culturel. Plongée dans l’univers du verre uni, à la croisée du musée de société et du musée d’art.

Il est beau, vu de l'extérieur

Il est beau, vu de l'extérieur

Ami nordiste, lève ton verre !

Je suis allé visiter mercredi dernier le Musverre, tout nouvel atelier-musée du verre à Sars-Poteries, village de 1500 habitants situé dans l’Avesnois (dans le sud du Nord, à quelques minutes de la Belgique). Un musée du verre à Sars-Poteries n’est pas chose nouvelle, puisqu’il existe depuis les années 1980. La prise en charge par le département, en 1994, a toutefois permis de lui donner une dimension nouvelle, qui s’est concrétisée par la construction d’un nouveau bâtiment, de près de 3500m², conçu par Raphaël Voinchet et W-Architectures. On parle ici d’un investissement de 13 millions d’euros.

Fraîchement inauguré (le 1er Octobre) et bénéficiant de pas mal de publicité dans tout le Département (qui en a la charge), le Musverre a annoncé un objectif de 50 000 visiteurs à l’année.

L’objectif est à comparer avec les chiffres de fréquentation avant la mue du musée-atelier, qui a accueilli de 9 000 à 18 000 visiteurs par an entre 2009 et 2013. Si les 50 000 visiteurs sont atteints, le Musverre deviendrait assez logiquement le premier musée de l’Avesnois, devant l’écomusée de Fourmies-Trélon (entre 60 et 30 000 visiteurs durant la même période) et présenterait un bilan supérieur au Musée des Beaux-Arts de Valenciennes. A titre de comparaison, le Louvre-Lens affichait pour sa première année 900 000 visiteurs, pour tomber en 2015 à 400 000, avec bien entendu une campagne de communication largement supérieure, et la marque « Louvre ». Mais il reste intéressant de comparer les deux projets, puisqu’il s’agit dans les deux cas d’une volonté de partager la culture dans des territoires en difficulté, souvent peu habitués à l’art. Pour le président du département, le républicain Jean-René Lecerf, ce projet symbolise "la rencontre de l'excellence culturelle et d'un territoire qui a besoin qu'on l'aide dans son développement, c'est un magnifique challenge". Il va sans dire qu’en accueillant 50 000 visiteurs par an, le musée serait le moteur de la région, et son impact devrait se ressentir sur les quelques commerçants du secteur, notamment les restaurateurs.

Quand tu fais une machine avec tes fringues Desigual

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Un verre gratuit, que demande le peuple ?

 

En Avesnois, le Musverre est pour ainsi dire le premier musée d’art (mais pas que, on y reviendra), puisque l’écomusée est un musée de société : du textile, de la vie sociale, du bocage, du bois et… du verre. L’objectif des 50 000 visiteurs devrait être atteint, puisque le musée a déjà annoncé 30 000 entrées en 2 mois. Il faut ajouter, pour être honnête, que la gratuité du lieu, qui était proposée jusqu’à la fin 2016, a certainement boosté quelque peu la fréquentation.

J’avais évidemment suivi d’un œil attentif la construction et l’inauguration du musée, et avais eu de bons échos de plusieurs visiteurs. En arrivant, je dois avouer que le bâtiment m’a séduit : en largeur plus qu’en hauteur, en verre, bois et pierre bleue, c’est une belle réussite. Comme pour le Louvre-Lens, j’imagine que le parti-pris d’un bâtiment sans extravagance, qui ne domine pas son environnement mais s’y intègre parfaitement, est hautement symbolique : la culture ne doit pas écraser, elle doit sublimer. Tout au long de la visite, de larges baies vitrées offrent ainsi de beaux points de vue sur les bocages, paysages typiques de l’Avesnois.

A l’intérieur, pas de doute : on est là dans un musée très moderne, avec de l’espace et une scénographie très épurée : un décor noir, avec des œuvres sous vitrine éclairée pour le rez-de-chaussée, et une large salle blanche, avec énormément d’espace. C’est à mon avis une belle réussite, et cette notion d’espace entre les œuvres couplée à la vue de paysages bucoliques donne une vraie impression de calme et de tranquillité, l’envie de prendre le temps.

Quelques exemples de "bousillés"Quelques exemples de "bousillés"

Quelques exemples de "bousillés"

L’Avesnois, terre de verre

 

Parlons maintenant du contenu. Clairement, c’est là aussi une belle réussite selon moi. On commence la visite par les salles dites des « bousillés ». Les « bousillés » sont des objets – pour la plupart d’entre eux, on peut franchement parler d’œuvre d’art. En tout cas, on est vraiment à la frontière entre artisanat et art, et on pense forcément un peu à John Ruskin et au mouvement Arts & Crafts. Les « bousillés » sont des objets donc, disais-je avant de digresser ; fabriqués par les ouvriers et maîtres verriers durant leur temps de pause. Il faut savoir que la région a un riche passé verrier : dans les environs, on trouve ainsi notamment l’atelier musée du verre de Trélon, la verrerie de Momignies (encore en activité et qui emploie près de 400 personnes) ou celle de Boussois.  Sars-Poteries fut longtemps considéré comme l’un des centres du verre creux, et comptait à la belle époque deux verreries, celle d’en bas et celle… d’en haut, sans suspense. La majorité, sinon l’intégralité des bousillés présentés ici ont été réalisés par des verriers du village : on y trouve des encriers, des sucriers, des crucifix… Les objets étaient généralement offerts en cadeau pour des événements importants, comme le mariage, ou ponctuels, comme les étrennes. Un proverbe local affirmait ainsi que « quand on va boire le café chez un verrier, on repart avec le sucrier ». La scénographie met plutôt bien en lumière les objets, et on se rend compte du savoir-faire énorme de ces verriers, en même temps qu’on en apprend un peu plus sur l’histoire du musée, née de la volonté d’un homme, le curé Louis Mériaux, qui proposa le premier de rassembler ces bousillés au sein d’une exposition.

                Ici, et c’est à mon avis la grande force de ce Musverre, on est à mi-chemin entre l’écomusée et le musée d’art contemporain, ou plutôt on entre dans un écomusée et on ressort d’un musée d’art contemporain. Pour rappel, l’écomusée est défini par le muséologue George-Henri Rivière, comme un « miroir où la population se regarde pour s’y reconnaître ». Dans cette première partie, on y est totalement, tant la mémoire verrière et ouvrière fait partie intégrante du territoire et de l’identité d’une partie de la population. La première partie se termine avec des vidéos expliquant les différentes techniques, dans une optique de mise en valeur du savoir-faire propre à l’écomusée. Et puis, on descend les escaliers, et là c’est un tout autre musée, résolument tourné vers l’art contemporain, mais sans fracture aucune, puisque c’est toujours le verre qui est mis à l’honneur. Le parcours est logique et très malin, puisqu’on change d’univers sans s’en rendre compte, et c’est en ça aussi que la frontière entre l’artisanat et l’art est très mince, et ne tient peut-être finalement pas à autre chose qu’au statut – imposé ou autoproclamé - du créateur, et à sa revendication.

Seated Dress Impression with Drapery, Karen Lamonte / Cenoe 9, Joan CrousSeated Dress Impression with Drapery, Karen Lamonte / Cenoe 9, Joan Crous

Seated Dress Impression with Drapery, Karen Lamonte / Cenoe 9, Joan Crous

                L’art est au fond du verre

                La partie consacrée à l’art contemporain est, je le disais, bien mise en valeur, et une vraie impression de tranquillité se dégage. Plusieurs œuvres proposées sont d’un abord assez facile, et c’est là encore bien pensé, quand on connaît l’incompréhension que peut engendrer l’art contemporain chez une partie de la population, spécialement celle peu habituée à fréquenter les musées. Ces œuvres, outre leurs qualités esthétiques – forcément c’est subjectif – ne manqueront pas de faire réagir, d’étonner, et de provoquer le dialogue entre les visiteurs, et notamment entre parents et enfants. C’est là l’une des forces de la collection : être accessible au plus grand nombre.

Parmi les pièces maîtresses de la collection, on peut citer Seated Dressed Impression with Drapery, de Karen Lamonte : une magnifique robe de verre sans corps, où le rendu du drapé est vraiment superbe. Juste à côté, on trouve Cenoe 9, de Joan Crous, artiste qui a inventé la technique de l’embocall : il fossilise dans le verre des objets du quotidien. Ici, les restes d’un repas (repas, CROUS, c’est lol). On a l’impression du temps qui s’arrête, d’un instant volé à la marche des heures, dans un Pompéi de verre.

J’ai aussi beaucoup aimé les œuvres du belge Giampaolo Amoruso, qui crée des petits bonshommes tout en rondeur, ce qui donne un univers très poétique, coloré, qui plait beaucoup aux plus jeunes visiteurs.

Et puis, coup de cœur pour l’œuvre de la danoise Lene Bodker, Whom do you see, qui fait un peu bande à part : elle représente un fort joli cadre en verre moulé, dans un espèce de vert/jaune fluo, calé contre le mur, à quelques centimètres du sol. Ambiance réserves de musée, entrée dans les coulisses…

                Des expositions temporaires devraient également être proposées, avec des focus sur les grands noms de l’art du verre contemporain. Un autre point intéressant, et qui prolonge l’aspect bâtard (au sens noble du terme, au sens Jon Snow disons) à mi-chemin entre l’écomusée et le musée d’art contemporain est la présence d’un atelier situé juste derrière le musée. L’atelier est doté d’un équipement complet et très pointu, qui en fait un lieu unique en Europe, à même d’accueillir artistes confirmés ou en devenir, et de s’affirmer comme un centre de création incontournable dans son domaine. D’autre part, le musée propose des ateliers de création et des stages, permettant l’apprentissage ou le perfectionnement d’une technique particulière de travail du verre, et de perpétuer ainsi le savoir-faire sur le territoire.

Whom do you see, Lene Bodker / La Familia, Giampaolo AmorusoWhom do you see, Lene Bodker / La Familia, Giampaolo Amoruso

Whom do you see, Lene Bodker / La Familia, Giampaolo Amoruso

Brigand de Brigand                     

(Noblesse oblige)                      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Musverre,

76, rue du Général de Gaulle

59216 SARS-POTERIES (100 km de Lille & Bruxelles).

Ouvert du mardi au dimanche de  11 à 18h.

6€ pour les + 18 ans

Et avant ou après la visite, goûtez la cuisine de terroir du Pavé de Sars (Rue Jean Jaurès, Sars-Poteries). Attention, avec le succès du Musverre, le restaurant est souvent pris d’assaut. N’hésitez pas à réserver.

Publié dans Culture

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