« Not Afraid of Love », Exposition Maurizio Cattelan à La Monnaie de Paris

Publié le par Brigand de Brigand

La monnaie de Paris accueillait du 21 octobre au 8 janvier une rétrospective de l’œuvre de l’artiste italien Maurizio Cattelan. Visite guidée avec les Brigands, au cœur de la polémique et de l’hyperréalisme, entre Jean-Paul II, Adolf Hitler et des chevaux.

Doux Jésus!

Doux Jésus!

Tout, tout, tout, vous saurez tout sur Maurizi

Un lundi matin, profitant d’une escale parisienne, j’avais envie de visiter une exposition. Comme j’hésitais longuement entre Magritte à Pompidou et Oscar Wilde au Petit Palais (j’étais en manque de citations pour mon skyblog), j’ai choisi « Not Afraid of Love », une exposition d’œuvres de Maurizio Cattelan à la Monnaie de Paris.

C’était la première fois que je rentrais à la Monnaie et je tiens d’abord à remercier le vigile qui m’a vu poireauter une demi-heure (j’étais arrivé bien en avance) en attendant l’ouverture des portes avant de m’annoncer tout content que j’étais à l’entrée du boutique et non à celle du musée. Ce qui du coup m’a permis de faire la queue derrière un cortège de lycéens et d’attendre une demi-heure de plus, les pieds gelés. La bonne nouvelle, c’est que j’ai plutôt bien supporté l’amputation.

Bref, me voilà donc entré à la Monnaie pour voir cette exposition « surprise », puisque l’artiste italien avait fait l’objet d’une grande rétrospective au Musée Guggenheim de Paris, sobrement intitulée « Maurizio Cattelan : All », comme un dernier hommage à celui qui annonçait alors sa retraite artistique. Et le revoici donc, 5 ans plus tard, dans les superbes salles de la Monnaie de Paris.

Un pied de nez, une contradiction de plus pour le sculpteur hyperréaliste qui a largement défrayé la chronique avec ses œuvres provocantes, voire franchement scandaleuses. J’avais déjà pu apprécier le travail de Cattelan lors de l’exposition « Happy Birthday Galerie Perrotin » au Tri Postal, lors de Lille 3000, et j’avoue que j’aime beaucoup son œuvre : j’adore le réalisme, alors l’hyperréalisme, j’hyperadore. Au total, 18 œuvres étaient proposées aux visiteurs, ce qui peut paraître assez peu, il est vrai. L’œuvre de Cattelan a une aura assez particulière, et est reconnaissable au premier coup d’œil.

Cattelan se met souvent en scène, rarement à son avantage.Cattelan se met souvent en scène, rarement à son avantage.

Cattelan se met souvent en scène, rarement à son avantage.

Tombemus papam

Le ton est donné dès le début, avec l’œuvre « Novecento », soit un cheval naturalisé, suspendu à la coupole de la Monnaie. Pour le coup, le lieu se prête merveilleusement bien à l’exposition. Le ton est donné, parce qu’évidemment voir un cheval suspendu de la sorte, la tête basse, le dos voûté, fait réagir, provoque. Et quand on comprend en plus qu’il s’agit d’un vrai cheval, taxidermisé, on peut ressentir du dégoût, de la colère, de voir un animal si noble dans une position si misérable, à contrepied de l’imagerie habituelle. Le titre de l’œuvre est un clin d’œil au film du même nom de Bernardo Bertolucci, qui retrace la montée du fascisme. Vous avez maintenant toutes les clés pour vous faire votre propre interprétation.

On monte les escaliers, on pénètre dans la première salle, et la provocation continue, puisqu’on se retrouve nez à nez avec le pape Jean-Paul II, allongé sur la moquette rouge, écrasé par une météorite. On a le loisir d’apprécier l’œuvre dans cette grande salle, d’en faire le tour, d’en admirer les détails, à la pointe du réalisme. On a vraiment l’impression d’être en face du vrai pape. On se croirait au Musée Grévin et pour cause : la statue de cire, comme beaucoup d’autres dans cette exposition, a été exécutée par Daniel Druet, qui a sculpté pas mal de célébrités pour le musée Grévin. (Alors évidemment, on peut se poser la question du statut de l’artiste, puisqu’à l’instar de Jeff Koons par exemple, Maurizio Cattelan ne fabrique pas ses œuvres). 

Pour ceux qui ont suivi la série Canal + « The Young Pope », vous retrouvez ici la sculpture qui clôt le générique, et que Cattelan a appelé « La Nona Ora », soit « La Neuvième Heure », qui en plus d’être l’heure à laquelle commence le film du dimanche soir sur TF1, est celle où le Christ aurait crié : « Eli, Eli, lama sabachthani ? » (pour ceux qui ont  séché les cours d’Araméen, ça donne en V.F. « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »), donc aurait manifesté un reproche, voire un doute envers son père. Comme souvent avec Cattelan, les interprétations et les références sont multiples… Si on en croit ses dires, la météorite représenterait plutôt les péchés du monde, que le pape porte pour soulager toute l’humanité. On a le droit d’en douter, évidemment.

L’image d’un pape grimaçant de douleur rappelle en tout cas les portraits d’Innocent X de Francis Bacon, où le pape, hurlant, est peint « dans la situation d’un condamné à mort sur son saint-siège transformé en chaise électrique », comme l’a écrit Philippe Sollers.

Adolf, Jean-Paul et moi, et moi, et moi.

Le reste de l’œuvre est moins polémique, mais tout aussi intéressant. L’artiste se met beaucoup en scène, dans des positions ou des proportions assez fantaisistes : de la taille d’un pigeon, avec Mini-me, en double et sur un lit de mourant, accroché à un porte-manteau ou s’infiltrant à la Monnaie, après avoir creusé un trou dans le sol. Mention spéciale à Gérard, qui représente un homme agenouillé, recouvert d’un drap, et dont on ne voit qu’une chaussure. Là encore, surprise au premier abord, puisqu’on tombe nez à nez avec cet homme dans une salle étroite. On aurait imaginé le croiser dehors, sur un trottoir, et sans doute ne se serait-on pas arrêté. Mais là, on est interloqué. J’ai imaginé, sous les traits de Gérard, Maurizio Cattelan lui-même, présumé disparu, retiré de la vie artistique, mais en fait bien là, à espionner les retours, les émotions des visiteurs, et content d’avoir une fois encore réussi son coup.

Autre surprise, quand on revient dans la salle principale. On fait le tour du pape, concentré, admiratif devant le réalisme de la sculpture, quand soudain BOUM BOUM BOUM, cacophonie et bruits de tambour (oui, je sais, j’imite très mal le tambour, mais à l’écrit vous conviendrez que ce n’est pas facile). On cherche d’où vient ce bruit, alors on lève les yeux et là, crise cardiaque. C’est un gamin qui joue du tambour l’air de rien, assis peinard sur la rambarde, à l’étage. On a envie de lui crier d’arrêter, de descendre, et puis on se rend compte qu’on aurait l’air assez bête de crier ça à une statue de cire. Cattelan nous a encore bien eus.

Gérard

Gérard

Une bonne idée de l’exposition, c’est d’avoir proposé à des personnalités du monde de l’art ou de la culture au sens large du terme de livrer leur sentiment sur les œuvres proposées, ce qui permet globalement de voir que notre propre interprétation n’est pas si stupide que ça. Pour chaque œuvre, des avis contraires sont ainsi proposés, avec au choix son galeriste (qui dit artiste dit galeriste) Jack Lang (qui dit culture, dit Jack Lang) ou Bernard-Henri Lévy (qui dit avis à donner dit BHL). Les avis sont généralement assez tranchés, ce qui change d’autres expositions, et donnent à explorer pas mal de pistes et de références émanant de la culture personnelle de chacun. Bien sûr, il y a à prendre ou à laisser, mais c’est une assez belle idée.

L’exposition m’a vraiment conforté dans mes premières impressions, j’aime beaucoup l’œuvre de Maurizio Cattelan : le message, bien que multiple, bien que parfois mystérieux (et ça me plaît d’autant plus quand l’œuvre laisse la place à l’interprétation et qu’on n’a pas la même que son voisin, ça permet de débattre, de se prendre la tête, de s’énerver et de se retrouver avec le cadavre d’un ami dans son coffre), existe. J’ai aimé être surpris, être provoqué, tantôt rire, tantôt être glacé (Je pense notamment à Gisants, qui met en scène 9 corps recouverts d’un drap de marbre). Et j’ai beaucoup aimé la réalisation, hyperréaliste, qui peut toutefois contribuer chez certains à ressentir une gêne, voire un malaise. Mais pour moi, c’est un rond, on se revoit à Baltard Maurizio !

 

Brigand de Brigand                     

(Noblesse oblige)                      

Publié dans Culture

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